CRICRI EN 250

 

CHRONIQUE D'UN BREVET NATIONAL DE 250 KM

Samedi 20 Avril 1996, 5H50 au local du VCMB, ils sont tous là les accrocs de la pédale longue distance; vélos équipés, lumières et sacoches, sac à dos, qui les mollets nus, jambières, ou coupe-vent, qui en maillots courts, il y a même deux esquimaux en veste thermique ( nous en reparlerons ).Un seul élément commun dans cette cohorte bruyante et quelque peu surexcitée : les couleurs verte, noire et blanche.
6 Heures 01 ( d'après notre chronométreur officiel : l'incontournable grand Jacques ) le peloton s'élance bruyamment au petit jour, nous sommes une bonne vingtaine pour ce périple, toutes lumières allumées et feux de signalisation activés ( sécurité oblige ).
Le peloton est groupé, bien compact et serré. Les conversations vont bon train, l'humeur est joyeuse pour ne pas dire euphorique, est-ce à l'idée de passer une journée sur la selle tous ensemble ou alors être loin de nos foyers où se languissent nos charmantes compagnes ?
Chateaufort, côte de Cressely, Saint-Rémy-Les-Chevreuse, la côte des Molières, déjà les plus impulsifs se manifestent et caracolent 100 mètres devant un peloton indolent et totalement indifférent à ces démonstrations gratuites.
Le Marais, la côte de Saint-Chéron se présente, première remarque fort judicieuse au demeurant de Jean-Marie : "pour un parcours annoncé comme plat cela commence bien". Et en ce qui concerne les côtes ( celles du Rhône sont ses préférées ) l'ami Jean-Marie possède une réputation que personne ne se permettrait de contester. Le groupe est déjà légèrement éparpillé en haut de ces derniers casse-pattes, mais sagement les premiers attendent les derniers, pour repartir ensemble.
8 Heures, après la côte d'Etréchy, dans les faubourgs de ce village, l'ami Daniel nous quitte, et retourne au bercail, avec la bénédiction de tous: alibi familial incontestable.
Boissy-Le-Cutté, La Ferté-Alais, encore et toujours des faux-plats, des bosses et des côtes. Nous sommes plusieurs a nous interroger du regard ? Est-ce bien un brevet national auquel nous participons, ou s'agit-il d'un BCMF version Ile-De-France, concocté par le diabolique Richard ?
Depuis les Molières un vent de trois-quarts avant nous incite à rouler groupé, et à organiser la progression. Entre La-Ferté-Alais et Boutigny-Sur-Essonne nous suivons la vallée de l'Essonne.
Paysages bucoliques : propriétés méticuleusement entretenues, prairies verdoyantes, barrières
propres et rectilignes, est-ce possible de trouver des sites enchanteurs et dignes de cartes postales touristiques si proches de la hideuse mégapole parisienne.
Pour ma part tout va bien, au gré de notre progression je converse avec mes voisins les plus proches, conversations que d'autres entretiennent un peu partout dans le peloton. Un doute m'assaille soudainement : les cyclotouristes sont-ils vraiment si bavards ?
L'humeur est toujours joyeuse, sereine et chaleureusement amicale. Puis voici la vallée du Loing, villas imposantes et altières, ruisseaux paisibles serpentant dans des prairies d'un vert cru, décors champêtres où je prendrais grand plaisir à y pique-niquer.
Première crevaison de Michel, un fond de jante défectueux en est la cause. La chaleur incite plusieurs d'entre-nous à commencer l'effeuillage : jambières, manchettes, coupe-vent et autres protections disparaissent dans les sacoches et sac à dos, mais toutefois nos deux esquimaux restent chaudement protégés.
Milly-La-Forêt, Michel "fond de jante" profite de la présence d'une boutique de cycles pour remettre à neuf le coupable de son récent incident.
10 Heures 15, Larchant, nôtre premier contrôle : un petit bourg paisible sur lequel s'abat un peloton de sauterelles vertes, noires et blanches. Le seul bar est pris d'assaut par une horde assoiffée. La tenancière semble rapidement dépassée par l'ampleur des commandes : cafés, eaux minérales et gazeuses. Les esquimaux n'ont pas commandé de vin chaud, surprenant ! Premier moment de détente, assis à la terrasse nous lézardons au soleil en jouisseurs, un moment savoureux proche de l'extase mystique en ce qui me concerne.
15 minutes plus tard nous repartons, et les conversations reprennent. Sans surprises les thèmes préférés sont abordés, et parmi ceux-ci il faut citer l'inépuisable sujet des 3 S ; et non il n'est pas question du Sea, Sex, and Sun si bien chanté par Gainsbourg, en réalité il s'agit plutôt d'une variation propre aux cyclistes, jugez-en par vous mêmes : Saga en Selle et Sacoche, certains seront déçus je pense, s'attendant à quelque chose plus en rapport avec le sujet qui a valu à votre serviteur une si belle récompense en fin 1995, lors de la cérémonie des sept, pardon des selles d'or !
Bref, ce matin le niveau culturel de nos joutes oratoires est sans commune mesure avec la tradition, loin de la noblesse et de la grandeur rhétoricienne et transcendantale, si caractéristique de nos dialogues et digressions dominicales.
Certainement conscient de la pauvreté de nos propos, et afin d'y remédier, notre Fifi dans une envolée lyrique, digne des plus grands ciseleurs du mot et du verbe, entreprend un monologue de très haute volée sur le thème complexe et scabreux, que dis-je exigeant, et si difficultueux, du marivaudage et des incontournables ébats et effusions s'y rapportant immanquablement, mais, et un Mais de taille, Fifi le philosophe débat de ces caresses et autres attouchements en chantre et peint ( car il s'agit bien d'une description picturale effectuée par le verbe ) deux amants s'étreignant dans un lit paré de draps de satin! Quel troubadour, quel versificateur ce Philippe! Malheureusement l'incapacité de notre ménestrel à définir la couleur du satin altéra quelque peu son contentement, bien que certains lui suggérèrent un choix ton sur ton ( satin blanc ou clair si les corps des amants est blanc) ou contrasté ( satin noir pour rehausser le blanc laiteux de la nudité de ces derniers ).
Les esprits chagrins s'étonneront des accents dithyrambiques du rédacteur de cette chronique vis à vis d'un thème littéraire si souvent abordé, certes, mais chacun doit replacer ce discours dans son contexte : assis sur un vélo et en pédalant, pour prendre conscience de la profondeur de la performance!
Cette causerie si proche du badinage eut un effet stupéfiant sur les membres du peloton, au demeurant littéralement suspendus aux lèvres du lyrique Fifi : elle sollicita de manière outrancière zygomatiques, diaphragmes et glandes lacrymales.
A peine remis de cette mortelle dose de rire ( Fifi je te suis profondément reconnaissant, il faut que tu le saches ), se profile une côte et une vraie de vraie! encore euphoriques, nous sommes plusieurs à manifester notre gratitude envers le capitaine de route, et en coeur chantons " Merci Richard pour ce parcours de montagnard ", vous le constatez cela rime, mais il n'y a pas le bon nombre de pieds, tout le monde ne peut pas s'improviser expert en belles-lettres.
Richard avoua humblement que le parcours était dû, pour l'essentiel c'est a dire les difficultés, au perfide Jean-P...., absent comme chacun des participants a pu le constater, et ainsi que l'affirme le dicton "les absents ont toujours tort ". En chroniqueur impartial je ne fais que vous rapporter la stricte vérité : citant les paroles prononcées, décrivant l'action, l'ambiance et les paysages.
Revenons à notre chevauchée, la traversée de Nemours surchargée de voitures, s'effectue sans encombres. Nous perdons "rando-cycle" qui flâne et s'arrête acheter des cartes postales. Le vent est toujours défavorable, passage à Chévry-En-Sereine, pour notre ami Gunther cela devient dur.
12 Heures 45 voici Vallery le deuxième contrôle et notre halte repas. Le soleil cogne fortement, et les derniers strip-teases se font en pleine rue, essentiellement au masculin, mais rassurez-vous mesdames les "Chippendales" ne craignent rien ! Toutefois nos deux esquimaux restent toujours aussi chaudement vêtus ( vestes thermiques et gants polaires il faut le préciser ). L'épicerie du village est dévalisée en liquides et aliments solides, la brave dame qui officie a certainement due faire la recette de la journée. Nous nous retrouvons tous dans un petit bistrot sympathique, décor d'autrefois, mobilier sans âges, ambiance surannée, clients goguenards aux visages certes avinés, mais chaleureux et pétris de cette faconde rurale, un lieu de rencontre exhalant la chaleur humaine, la convivialité comme nous dirions maintenant.
Sandwichs pour tout le monde ! sauf pour Richard, qui se contente d'une maigrichonne banane en guise de sustentation. Ce n'est pas possible, il doit avoir un réacteur nucléaire dans les entrailles!
Quel rendement, rouler si souvent en tête ( merci Richard ) et manger si peu, comment fait-il?
Votre modeste narrateur engloutit deux sandwichs jambon. Au bar Jean-Marie qui prépare l'Irlande ( oui vous savez ce raid en sacoches avec au menu : 1000 km de vélo et 500 litres de bière ) commence sans tarder son entraînement au houblon !
Une conversation d'ordre générale s'engage entre les "autochtones" et quelques uns des cyclos. Pendant ce temps là, dans le fond de la salle plusieurs randonneurs entreprennent une étrange alchimie à la limite de la sorcellerie, jugez-en par vous même ! Une pincée d'élixir contenu dans le sachet bleu, trois gouttes d'extrait du flacon noir, celui avec une tête de mort surmontée de deux tibias entrecroisés, quelques gouttelettes de cette autre fiole aux fragances si miasmiques, et tout ceci est versé dans les bidons qui doivent être revêtus d'acier inoxydable à l'intérieur.
Un des apprentis sorciers, eût la maladresse de renverser une peu de cette mixture sur la table où il oeuvrait. Devinez ce qu'il se passa, et bien une fumée âcre et forte se produisit et le revêtement de la table s'en trouva corrodé, rongé, carrément consumé le dessus en formica, je n'ose envisager l'effet sur l'appareil digestif de ces manipulateurs, de ces partisans de la transmutation du cyclotouriste.
Non nous ne rêvons pas, et je peux même vous citer des témoins visuels , comme Christian, Gégé, Jérôme et d'autres.
Repus, désaltérés, détendus, mais un peu amollis, nous reprenons nos montures, avec une perspective réjouissante : le vent nous sera favorable au retour. A peine partis, nous croisons l'ami "cartes postales". Nous temporisons quelque peu pour lui permettre de repartir en notre compagnie.
Cinq minutes plus tard tout le monde s'élance pour de bon, il reste 135 km et il est 13 Heures 30/45
La chaleur devient pesante, et boire va devenir une perpétuelle obsession. A peine sommes nous repartis, chaleur ou digestion, toujours est-il que le Cri-Cri il ne sent pas dans son assiette : estomac barbouillé, oppression indéfinissable, jambes cotonneuses, jarrets sans forces (1) , alors sagement le moribond s'installe en queue de peloton, s'abrite en cherchant la meilleure protection, faisant le gros dos et attendant le retour de la forme. D'ailleurs je me retrouve en bonne compagnie puisque l'ami Bertrand "ma poule" s'y trouve également, en délicatesse avec son estomac , ainsi que notre "corse" Jérôme en petite condition nous précisa-t-il.
Dans les premières rampes rencontrées sur le retour ( Voulx, Episy ) nous formons l'arrière-garde du paquet, merci à Jean et à Serge pour leur encouragement et leur réconfort. Cela est encore plus dur pour Gunther qui ne peut plus suivre l'allure modérée du peloton, alors il se décide a rentrer en "sauvant les meubles", en compagnie de "cartes postales" qui flâne a l'arrière, ce dernier, un Daniel tout craché mais en plus jeune, bien entendu. Finalement Gunther ralliera le club en solitaire.
Forêt de Fontainebleau, magnifique ! mais je reconnais ne pas avoir eu toute les dispositions intellectuelles pour juger de la beauté des décors dans lesquels nous pédalions, toute mon esprit étant à l'écoute de mon organisme pour percevoir tout signe aussi imperceptible soit-il d'un regain de forme qui tarde à revenir. Gorges de Franchard, nous nous arrêtons, Richard cherche la bonne route. J'en profite pour m'allonger à l'ombre dans l'herbe verte, sous un chêne respectable, et je décide de retirer mon maillot de corps, avant-dernier vêtement précédent la nudité du tronc . Nous repartons, et avant Arbonne le grand Jacques crève. Les éclopés passent devant et continuent, Lisiane qui saigne du nez rejoint cette cohorte de bancals et de souffreteux. Par charité chrétienne, Jean, Jean-Marie, Michel et quelques autres nous escortent, protégeant et dirigeant ces pauvres mal fichus, indisposés, pestiférés du bitume.
Arbonne, le troisième contrôle de la journée approche, et il fait toujours aussi chaud. Voici Courances le point de contrôle, pas de bar et de café! Ah enfin voici La boulangerie-épicerie-bazar du village, qui se trouve dévalisée en boissons. Le reste du groupe nous retrouve ( le grand a percé une deuxième fois suite à un remplacement maladroit, ai-je cru comprendre ).
Depuis le départ de Vallery, un grand silence c'est abattu sur le peloton, est-ce la chaleur, la torpeur de la digestion; ou l'effet des ingrédients indéfinissables absorbés par certains. Toujours est-il que les conversations se font très rares cet après-midi, et comme parmi les handicapés se trouvent plusieurs des "langues bien pendues", ceci pourrait expliquer cela ( je dis bien pourrais).
Nous repartons, et pour ma part cela va mieux, je retrouve des sensations, et de plus je recouvre l'usage de la parole ( voyez-vous un lieu de cause a effets entre les deux faits sus-cités, je laisse le lecteur libre de ses propres conclusions ).
Fifi retire ( enfin ) ses gants thermiques; ouf !; et les range dans mon sac à dos. A bonne allure nous roulons groupés, avec le vent toujours aussi favorable. Sevré de conversations depuis une à deux heures, je renoue contact et essaie de rattraper le temps perdu. Causeries avec Jean-Marie qui m'avoue ressentir une petite pointe de gêne à son genou ( l'effet de la tartine de houblon ? ), bavardage avec Gilles, un futur compagnon de souffrances sur Bordeaux-Paris, je lui demande ses impressions sur la journée, son sentiment sur notre tableau de marche, bref nous dissertons sur notre future course du solstice d'été.
Un petit mot sur nôtre tandem, qui se montre fort discret, mais toujours présent, assez rarement en tête, souvent en queue de peloton. Je crois que l'ami Jean-Yves avait décidé que ce samedi serait entièrement consacré a la gentille Pierrette, la preuve, il ne l'a pas quitté d'une pédale.
Nous passons les 200 km, et voici la côte de Videlles, l'utilisation du triple plateau se systématise, le 30 ou 32 salvateur est de plus en plus fréquemment sollicité. La-Ferté-Alais, Lardy, la côte de Torfou et de Sucy-en-Brie !!! Bonjour les braquets de montagne.
Plus personne n'a le courage d'adresser le moindre grief à l'ami Richard, chacun arc-bouté sur sa machine se concentre sur son effort, minimisant sa peine, et compte les mètres, les centimètres et les secondes qui le sépare du haut de chacune de ces belles bosses.
Nous descendons vers Saint-Chéron, et improvisons un arrêt face à la gare pour ravitailler en liquide. Bar à éviter absolument : réflexion désobligeante du barman sur le remplissage gratuit d'un bidon en eau potable, faite à notre Gégé national. Montée de Saint-Chéron, Angervilliers, Limours, ah comme elles sont appréciées les longues descentes, et pour un peu je l'aurais embrassé le Richard d'avoir prévu des descentes à ce moment du trajet.


Personnellement pour que le plaisir dure plus longtemps j'avoue que je me suis surpris a freiner plus que ce qui était nécessaire, afin que les périodes sans pédaler s'éternisent ( cérébrale n'est-ce pas ). Les Molières, Saint-Rémy-les-Chevreuse, le cap des 250 km est franchis, Milon et la côte de Romainville : no comment!
Romainville, le col du Manet, et enfin voici le local du VCMB. Le compteur accuse 270 km, mais un peu plus ou peu moins, quelle importance.
Il est 19 heures 45,et c'est le moment de la séparation, pour moi ce fût une journée amicale, placée sous le signe de la solidarité, de la camaraderie, et de la bonne entente, et je suis intimement persuadé, a travers ces derniers propos, avoir exprimé le sentiment de chacun des participants à ce brevet national, bravo Richard, et merci pour cette belle balade.
L'éthique cyclotouriste existe belle et bien au VCMB, personne ne peut plus en douter, car je l'ai côtoyée pendant plus de 12 heures, et je peux dire que chacun des participants à cette belle journée de cyclotourisme était animé de cet esprit de groupe.

CRI-CRI : Le Rapportageur

(1) NDWM : et ce n'était pas de la pizza-patates-roblochon !!